Lettre ouverte des intermittents de l’audiovisuel aux ministres de la Culture - du Travail

Lettre ouverte des intermittents de l’audiovisuel aux ministres de la Culture - du Travail

Lancée le
28 février 2018
Adressée à
Signatures : 17 804Prochain objectif : 25 000
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Pourquoi cette pétition est importante

Lancée par UNDIA

Nous représentons les intermittents du spectacle, techniciens de l’audiovisuel.

Nous voudrions vous interpeller sur les conséquences de l’accord professionnel relatif à l’indemnisation chômage dans les branches du spectacle, signé le 26 avril 2016.

Nous sommes une catégorie d’intermittents du spectacle qui jusqu’alors a peu fait parler d'elle et pour cause :

Nous ne peinons pas à effectuer les 507 heures requises pour accéder au régime de l’intermittence du spectacle, bien au contraire, et c'est paradoxalement là tout notre problème. 

Nous ne sommes pas non plus ce que le langage populaire nomme les "permittents" puisque nous multiplions les employeurs.

 

Nous sommes techniciens (chefs-monteurs, chefs-opérateurs, ingénieurs du son, mixeurs, régisseurs, assistants réalisateurs, chargés de production...) ou responsables éditoriaux (collaborateurs artistiques, directeurs de casting, coordinateurs d’émission, documentalistes…).  

 

Nous travaillons pour les sociétés de productions qui conçoivent et fabriquent les programmes que regardent les Français à la télévision, qu'il s'agisse de divertissements, de magazines ou encore de documentaires.

 

Nous sommes intermittents du spectacle car nos missions sont par nature ponctuelles : les émissions produites par nos employeurs ont des durées de vie limitées, au même titre qu'un tournage de film de cinéma ou la tournée d'une pièce de théâtre.

 

Comme nos confrères du cinéma ou du spectacle vivant, nos périodes de travail  peuvent être annulés au dernier moment, sans préavis ni aucune forme d'indemnité.

Comme nos confrères du cinéma ou du spectacle vivant, rien ne nous assure qu’à l’issue d’une période de travail aussi intense soit-elle d’autres projets suivront.

 

C’est en cela que notre situation est précaire et nécessite une assurance chômage en adéquation avec la réalité de l'exercice de notre profession.

 

Cette assurance chômage, celle des intermittents du spectacle, a longtemps pallié l’inévitable instabilité de nos vies professionnelles.

 

Cependant, depuis la signature le 28 avril 2016 de l’accord professionnel relatif à l’indemnisation chômage dans les branches du spectacle, et aussi singulier que cela puisse paraître, travailler régulièrement est devenu un problème.

 

Cet accord de 2016 est tout à fait bénéfique aux artistes et aux techniciens qui peinent à réunir les 507 heures requises : ces derniers ont désormais 12 mois contre 10 auparavant pour y parvenir, et nous sommes heureux que nos confrères qui participent à la richesse culturelle de notre pays puissent être plus nombreux à bénéficier de cette protection sociale spécifique.

 

Mais pour nous qui avons la chance de travailler régulièrement, la situation est aujourd’hui toute autre.

En effet, ce protocole a engendré une augmentation des périodes de franchise salaires qui peuvent désormais atteindre plusieurs mois par an.

 

Plusieurs mois de franchise salaires par an c’est tout simplement plusieurs mois sans salaire ni aucune forme d’allocation chômage ou pire : risquer de devoir  rembourser l’équivalent de plusieurs mois d’allocations, alors que celles-ci ont été versées pendant des mois de chômage réel et total.

 

Comment vivre plusieurs mois sans salaire ni allocations chômage ?

Ou pire : comment rembourser plusieurs mois d’allocations pourtant versées pendant une période  de chômage ?

 

Travailler régulièrement  ne nous préserve en rien du risque inhérent à notre condition de travailleurs par intermittence : connaitre des périodes pendant lesquelles malgré tous nos efforts nous ne parvenons pas à obtenir un contrat.

Tous les salariés de France ont droit à une assurance chômage qui les protège contre ce risque et se déclenche dès qu’un incident de parcours survient.

Tous… sauf une catégorie que nous représentons aujourd’hui : les intermittents du spectacle qui travaillent régulièrement.

 

Le principe des périodes de franchise salaires pouvant atteindre plusieurs mois existe depuis longtemps mais ces franchises salaires n’étaient jusque-là appliquées que lorsque nous avions perçu 243 allocations journalières.

Un intermittent du spectacle qui travaille régulièrement pouvait mettre deux, trois ou quatre ans à percevoir ces 243 jours d’allocations ; donc deux, trois ou quatre ans sans franchise salaires.

 

Ainsi, jusqu’en 2016, la logique était plutôt vertueuse : certes, plus un intermittent du spectacle travaillait plus son nombre de jours de franchise salaires était conséquent, mais, de facto, plus il travaillait plus ces périodes se faisaient rares.

 

La rareté de ces périodes sans salaire ni allocation chômage permettait de valoriser le fait de travailler régulièrement au lieu de le sanctionner comme c’est le cas aujourd’hui.

 

En effet, depuis août 2016 du fait du retour à un principe de date anniversaire, ces périodes de franchise salaires ont une récurrence annuelle. Aujourd’hui, un intermittent du spectacle qui avait jusque-là par exemple trois mois de franchise salaires tous les quatre ans subit désormais ces trois mois de franchise salaires tous les ans.

 

Le nombre de jours de franchise salaires n’étant plus compensé par leur rareté, nous courons dorénavant le risque de devoir vivre plusieurs mois sans salaire ni allocation chômage chaque année, et non à chaque fois que nos droits sont épuisés.

 

C’est une situation unique dans l’histoire de l’assurance chômage française : plus le salarié a travaillé moins il aura droit au chômage en cas d’incident de parcours.

 

Jusqu’en décembre 2017, notre cotisation au titre de l’assurance chômage était deux fois plus élevée que celle d’un salarié du Régime Général ; en septembre prochain, nous devrions être les derniers salariés de France à continuer de cotiser pour l’assurance chômage, à hauteur de 2,4% ; pour l’heure, et ce depuis le le 1er janvier 2018, nous continuons de cotiser au titre de l’assurance chômage à hauteur de 2,4 points de plus qu’un salarié du régime général.

Nous restons et resterons donc à la fois les salariés qui cotisent le plus en France, mais aussi les moins bien protégés.

 

En effet, lorsqu’un salarié du régime général se retrouve privé d'emploi, il touchera contrairement à nous une prime de précarité ou une indemnité de licenciement de la part de son employeur : ces dispositifs n'existent pas chez les intermittents du spectacle du fait de la nature temporaire de nos contrats.

Mais surtout, il percevra une allocation chômage dès les premières semaines qui suivent sa perte d’emploi, une allocation proportionnelle à ses revenus passés.

 

Lorsque nous travaillons, il est vrai que nous gagnons bien nos vies.

Cependant, cela ne nous permet pas de subvenir à nos besoins si un incident professionnel survient.

Comment payer un loyer ou un emprunt, ses impôts, ses charges fixes lorsque sans préavis ni indemnités, nos revenus passent subitement à 0 € et ce pendant plusieurs mois ?

 

Certains diront que puisque lorsque nous travaillons nous gagnons bien nos vies, nous pourrions mettre de côté pour les périodes creuses.

 

En réalité, nous le faisions déjà, car les mois chômés nous ont toujours été indemnisés à un taux plus que deux fois inférieur à notre salaire de référence, mais il est très compliqué de prévoir une trésorerie équivalente à deux, trois, voire plus de quatre mois de salaire.

 

Le principe de l'assurance chômage est justement d'aider celui ou celle qui perd son emploi à ne pas tomber dans la précarité, à pouvoir continuer d'honorer ses engagements financiers le temps que la situation redevienne normale, et ce quel que soit son salaire d'origine.

 

Bien des cadres en entreprise bénéficient de salaires comparables aux nôtres, et s’ils venaient à perdre leur emploi une allocation proportionnelle à leurs revenus leur serait accordée (75% du salaire d'origine dans la limite de 7500€ pour le régime général contre environ 35% dans la limite de 3906 €98 pour un intermittent du spectacle).

 

 

En revanche un technicien intermittent du spectacle ayant travaillé régulièrement l’année précédente qui connaîtrait un incident professionnel, qu'il s'agisse de l'annulation d'un contrat à la dernière minute ou tout simplement parce que c'est une période pendant laquelle le travail se raréfie pourrait donc se retrouver plusieurs mois sans aucun revenu, pas même celui de solidarité active !

 

 

Nous vivons donc cette nouvelle convention comme une inégalité, comme une injustice et comme un danger :

 

 

Une inégalité, car nous contribuons grandement de par le nombre de nos contrats à financer la protection du régime des intermittents du spectacle et que cette protection spécifique nous a été retirée alors que nous subissons les mêmes contraintes que nos collègues artistes ou techniciens du cinéma et du spectacle vivant. Notre seule différence étant d'avoir la chance de travailler plus régulièrement, mais sans aucune assurance que le mois qui vient apportera autant d’opportunités professionnelles que le mois qui s'achève.

 

Une injustice car travailler régulièrement aujourd’hui c’est courir le risque de vivre plusieurs mois sans salaire ni aucune forme allocation l’année suivante.

 

Et enfin un danger, car même si nos revenus sont confortables, rien ne nous assure qu'ils le resteront.

 

Au regard de cette nouvelle convention qui pourrait se résumer à "travailler plus pour gagner moins", ou à "cotiser plus pour se mettre en danger", nous nous sommes réunis pour vous faire les propositions suivantes :

 

1/ Des jours de franchises salaires et congés payés non-cumulables d’un mois sur l’autre (sans risque de  générer un trop perçu).

Actuellement nous risquons de vivre plusieurs mois sans aucun revenus ou pire nous risquons de rembourser des allocations considérées comme « trop perçues ».

  

2/ Un plafond de cumul salaires / ARE qui ne bloque pas le décompte des franchises salaires et congés payés.

Aujourd’hui lorsque le plafond est atteint, le décompte des franchises salaires et congés payés se voit gelé.  Ce plafond devrait se limiter à bloquer le paiement mais pas le décompte des franchises. 

 

3/ Un calcul du nombre de jours de franchise salaires en fonction d’un SMIC sur 8 heures (contre 5 heures actuellement).

Aujourd’hui, notre nombre de jours de franchise salaires est déterminé en comparant notre salaire de 8 heures avec un SMIC sur 5 heures. Cela augmente nos franchises salaires alors qu’il semblerait évident, logique et juste de comparer notre salaire sur 8 heures avec un SMIC sur 8 heures.

 

4/ Décompter la franchise congés payés ainsi que l’éventuel délai d’attente de 7 jours le mois du versement de ces congés payés (« Congés Spectacle »).

Actuellement, la franchise congés payés est mêlée aux franchises salaires et se cumule de mois en mois impliquant de très grosses difficultés de trésorerie. Ponctionner la franchise congés payés durant le mois pendant lequel Audiens nous rémunère nos congés payés (« Congés Spectacle ») permettrait de fluidifier notre trésorerie sans générer de manque à gagner pour l’Unedic.

 

 5/ Instauration d’un plancher minimal d’indemnisation .

Afin d’éviter qu’un intermittent du spectacle se retrouve plusieurs mois sans salaire ni allocations au seul motif qu’il a travaillé régulièrement pendant l’année écoulée, un plancher de sécurité d’un montant de 1 155,20 € brut (allocation minimale - soit 38 € - multipliée par 30,4 - soit le nombre de jours moyen dans le mois) devrait être garanti à tout intermittent ayant ouvert un droit à l’indemnisation chômage qui n’a pas ou peu travaillé, quelque soit son solde de franchises salaires et congés payés et sans aucun risque de générer un trop perçu à rembourser quelques mois plus tard.

 

6/ Un plafond de cumul salaire / ARE proportionnel aux revenus de l’intermittent du spectacle.

Actuellement, le plafond est fixé pour tous à 3906,98 € brut. Or ce plafond devrait être comparable à celui du régime général avec un plancher équivalent à deux fois le SMIC brut pour ne pas pénaliser les plus précaires et un plafond  absolu à quatre fois le SMIC brut afin de ne pas grever l’Unedic avec les très hauts salaires du spectacle et de l’audiovisuel.

 

 

 

 Mesdames les Ministres, 

 

Nous ne sommes pas des habitués des revendications sociales.

Nous sommes peu - pour ne pas dire pas - syndiqués.

 

Cependant, nous avons conscience d'une chose :

Pour que tous les foyers français se retrouvent devant un seul et même écran noir, nous n'aurions nul besoin de poser un préavis de grève ou de prévoir des slogans pour manifester.

Nos conditions d’emploi nous offriraient le pouvoir de n'être simplement

"pas disponibles" pendant quelques jours, quelques semaines,

quelques mois s’il le faut.

 

Paradoxe ultime de cette situation ubuesque :

Ne pas travailler quelques temps nous permettrait d'évacuer nos jours de franchises salaires et de ne pas en générer pour l'année suivante, puisque ce protocole a pour effet pervers de précariser ceux d'entre nous qui travaillent le plus.

 

Croyez bien que nous aimons notre métier, que nous entretenons de bonnes relations avec nos employeurs et que nous n'avons aucune envie d’utiliser ce pouvoir. Croyez bien cependant que si la situation l’exige… nous n’hésiterons pas.

 

Afin d’exposer les constats et propositions que nous avons esquissé dans ce courrier nous sollicitons officiellement et au nom des intermittents du spectacle travaillant dans l’audiovisuel un rendez-vous avec vous.

 

Nous vous remercions de l'attention que vous porterez à nos propositions et nous restons à votre entière disposition.

 

 

LES INTERMITTENTS DU SPECTACLE TRAVAILLANT DANS L’AUDIOVISUEL

REPRÉSENTÉS PAR L’ASSOCIATION UNDIA

https://www.undia.fr/version1/pdf/Lettre_Ouverte_20180301.pdf

https://www.undia.fr/version1/pdf/Propositions_20180301.pdf

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